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Pensées au moment du coucher, endormissement et insomnie

Alexandre Lemyre, M.A., Ph.D.

J'ai étudié la psychologie à l'Université Laval, Canada, où j'ai obtenu un baccalauréat, une maîtrise et un doctorat. Je suis un chercheur en psychologie, pas un psychologue (je ne suis pas accrédité pour faire de la psychothérapie). Ma thèse doctorale consistait à développer et tester une nouvelle théorie de la fonction des rêves. Au cours de mes études, j'ai également travaillé sur plusieurs projets de recherche en lien avec les rêves, les cauchemars, l'insomnie, l'anxiété et la consommation de substances. Depuis août 2021, je suis stagiaire postdoctorale au Centre d'Études sur le Trauma (CÉT), qui fait partie du Centre de recherche de l'Institut Universitaire de Santé Mentale de Montréal (IUSMM). J'y étudie les conséquences de l’exposition à la violence chez les travailleurs sociaux, les déterminants des troubles du sommeil (cauchemars et insomnie) à la suite d’un traumatisme, ainsi que le traitement des cauchemars chroniques. J'ai un intérêt particulier pour l'utilisation des technologies (p.ex., applications mobiles) pour le traitement des difficultés psychologiques.

Le contenu de cet article a été mis à jour le 1er février 2022. 

Introduction

Au cours de mes études doctorales, j’ai effectué un stage de recherche de quatre mois à Vancouver, au Canada. L’objectif de ce stage était d’apprendre et de théoriser sur le rôle de l’activité cognitive (activité mentale) dans l’insomnie. J’ai éventuellement travaillé sur une revue de la littérature scientifique dans laquelle nous avons résumé une grande partie de ce qui avait été écrit sur ce sujet. Cette revue de la littérature a été publiée dans un journal scientifique influent spécialisé dans la recherche sur le sommeil (Lemyre et al., 2020). Je suis impatient de partager avec vous certaines choses que nous avons apprises.

Activité cognitive pendant l'endormissement normal

Avant d’aborder ce qui se passe dans l’esprit d’un individu durant un épisode d’insomnie, j’aimerais aborder ce qui se passe lorsque l’endormissement se produit normalement. Contrairement à ce que beaucoup de gens pourraient croire, l’endormissement n’est pas comme éteindre un interrupteur. Au contraire, il s’agit d’une transition progressive entre un état de relaxation et le sommeil léger (appelé stade 2 du sommeil) ou le sommeil paradoxal (« REM sleep » en anglais), qui peut durer quelques minutes. Pour cette raison, l’endormissement est appelé « stade 1 du sommeil ».

Que se passe-t-il dans votre esprit lors de cette transition vers le sommeil ? Jusqu’à présent (et probablement pour longtemps encore), il n’y a qu’une seule façon de répondre à cette question : réveiller une personne pendant l’endormissement (stade 1 du sommeil) et lui demander ce à quoi elle pensait juste avant le réveil, ou encre lui poser des questions spécifiques sur son activité mentale avant leur réveil. Une limite de cette approche est que le participant ne se souvient pas toujours clairement ce à quoi il pensait avant d’être réveillé.

Pour déterminer si une personne est éveillée, en train de s’endormir (stade de sommeil 1) ou dans un autre stade de sommeil (stade 2, stade 3 ou sommeil paradoxal), plusieurs indicateurs peuvent être utilisés. Cela comprend les ondes cérébrales (mesurées avec un électroencéphalogramme), les mouvements oculaires et les mouvements du corps. Mesurer ces indicateurs nécessite un équipement spécialisé. Pour cette raison, le plus souvent, ces mesures sont effectuées dans un laboratoire du sommeil. Un laboratoire du sommeil comprend une chambre à coucher insonorisée. Dans une autre pièce, des techniciens peuvent évaluer le sommeil de la personne en temps réel et la réveiller lorsqu’elle se trouve dans des stades de sommeil spécifiques (p.ex., le stade de sommeil 1, soit l’endormissement). Plutôt que d’évaluer le sommeil en laboratoire, certains chercheurs ont utilisé le Nightcap, qui est un appareil pouvant être utilisé à la maison. Le Nightcap identifie automatiquement l’endormissement en fonction d’algorithmes et envoie un signal pour réveiller la personne. Que l’étude soit menée dans un laboratoire du sommeil ou avec le Nightcap à la maison, la description que le participant fait de l’activité mentale qu’il expérimentait avant le réveil est enregistrée puis analysée par les chercheurs. Les sous-sections suivantes présentent un résumé des résultats de plusieurs études qui ont été menées dans un laboratoire du sommeil (Foulkes et al., 1966; Foulkes et Vogel, 1965; Hori et al., 1994; Michida et al., 2005; Molinari et Foulkes, 1969; Vogel et al., 1972; Wackermann et al., 2002; Yang et al., 2010) ou en utilisant le Nightcap (Fosse et al., 2001; Rowley et al., 1998; Speth et al., 2016 ).

Imagerie sensorielle. La plupart du temps, l’activité mentale à l’endormissement ne se manifeste pas seulement sous forme de pensées abstraites : elle est constituée d’imagerie sensorielle. Je voudrais fournir des estimations précises sur la fréquence à laquelle chaque type d’imagerie se produit, mais malheureusement, les résultats ont tendance à varier entre les études, ce qui peut être dû à des différences méthodologiques. Ce qui est clair, cependant, c’est que la forme d’imagerie la plus fréquente est visuelle (par exemple, imaginer des personnes ou des objets), suivie de l’imagerie auditive (c’est-à-dire des sons, comme des voix) et de l’imagerie corporelle/tactile.

Hallucinations. Le terme « hallucination » signifie que pendant l’endormissement, la personne peut avoir l’impression qu’elle observe ou prend part à des événements du monde réel (tout comme dans un rêve, lorsque vous croyez que ce que vous percevez se produit réellement). Cela signifie que la personne n’est plus consciente de son environnement réel ou du fait qu’elle est présentement étendue dans son lit. De plus, lorsque vous imaginez des choses au réveil, vous êtes conscient que vous créez ces événements dans votre esprit; au contraire, lors de l’endormissement, les événements imaginés peuvent sembler incontrôlables (là encore, il y a un parallèle évident à faire avec les rêves). Plus vous progressez vers l’endormissement (c’est-à-dire plus vous vous approchez du sommeil), plus vos expériences mentales sont susceptibles d’être « hallucinatoires ».

Capacités cognitives. La capacité à penser normalement a tendance à diminuer lors de l’endormissement. Cela inclut le contrôle sur les pensées de manière générale, mais aussi des processus cognitifs spécifiques tels que la capacité à reconnaître, à interpréter, à comparer, à expliquer, à planifier, etc. De plus, à mesure que nous progressons vers le sommeil, nos pensées sont de moins en moins orientées vers l’avenir.

Les pensées avant le sommeil chez les personnes souffrant d'insomnie

Dans deux études (Harvey et Espie, 2004; Wicklow et Espie, 2000), les chercheurs ont demandé à des personnes souffrant d’insomnie (principalement des étudiants universitaires) d’enregistrer ce qui occupait leur esprit lorsqu’elles avaient de la difficulté à s’endormir. Pour ce faire, un magnétophone à commande vocale leur a été fourni. Il convient de souligner que la plupart des pensées signalées se sont probablement produites pendant l’éveil en position couchée plutôt que pendant l’endormissement (c’est-à-dire le stade 1 du sommeil). Les pensées rapportées par les participants ont été classées comme suit :

(1) remémoration du passé, planification et résolution de problèmes : réflexion sur les expériences passées, les événements à venir, les choses à faire, les problèmes relationnels et les problèmes liés au travail.

  • 43% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 32% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(2) Le sommeil et ses conséquences : réflexion sur le besoin ou l’envie de dormir ou sur l’importance du sommeil.

  • 20% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 21% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(3) Réflexion sur la qualité des pensées : réfléchir sur sa propre pensée.

  • 12% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 11% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(4) État d’éveil : penser à la sensation d’épuisement, de somnolence ou de fatigue physique.

  • 9% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 7% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(5) Expériences liées au système nerveux autonome : penser à son rythme cardiaque, à un mal de tête, à des tensions, etc.

  • 6% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 15% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(6) Bruits extérieurs.

  • 6% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 5% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

(7) Se lever du lit : penser à se lever.

  • 1% des pensées rapportées dans l’étude de Wicklow et Espie (2000)
  • 7% des pensées rapportées dans l’étude de Harvey et Espie (2004)

Wicklow et Espie (2000) ont observé que les deux catégories de pensées suivantes étaient associées à une latence d’endormissement plus longue (un temps d’éveil plus long avant l’endormissement) pendant la période de l’étude, qui a duré trois jours : le sommeil et ses conséquences, et les expériences liées au système nerveux autonome.

Questionnaires mesurant l'activité cognitive présommeil : les liens avec l'insomnie

Dans les sections précédentes, j’ai abordé les études dans lesquelles les participants rapportaient leur propre activité mentale en temps réel, c’est-à-dire lorsqu’ils étaient réveillés durant le processus d’endormissement (stade 1 du sommeil) ou lorsqu’ils se trouvaient incapables de s’endormir (pour les participants avec de l’insomnie). Une autre méthode pour évaluer l’activité mentale avant le sommeil consiste à utiliser des questionnaires. Les questionnaires peuvent généralement être remplis à n’importe quel moment et nécessitent relativement peu d’implication de la part des participants. L’utilisation de questionnaires a cependant un inconvénient, car elle repose sur la capacité des participants à se souvenir avec précision de l’activité mentale qu’ils expérimentent habituellement au moment du coucher.

Quelques questionnaires ont été élaborés pour évaluer des variables (ou « construits ») liées à l’activité mentale avant le sommeil. Ces questionnaires et les résultats qui en découlent sont présentés dans les prochaines sous-sections. Il est important de mentionner que tous ces résultats sont corrélationnels. Les corrélations ne démontrent pas l’existence d’une relation causale, ni n’informent sur la direction d’une relation causale (c’est-à-dire, si A cause B ou si B cause A). Ainsi, les interprétations causales dans les prochaines sous-sections devraient être considérées comme étant des hypothèses, pas des faits.  

Hyperactivité mentale et activation cognitive

L’hyperactivité mentale et l’activation cognitive avant le sommeil sont des notions plutôt vagues qui correspondent à l’intensité de l’activité mentale pendant la période précédant le sommeil. Bien qu’ils aient des noms différents, à mon avis, ces deux construits sont essentiellement identiques. L’hyperactivité mentale est évaluée par une sous-échelle du Questionnaire sur la perturbation du sommeil (« Sleep Disturbance Questionnaire »; Espie et al., 2000; Espie et al., 1989), qui contient trois items : « mon esprit ne cesse de brasser les choses », « ma pensée prend du temps à se détendre», et « Je suis incapable de vider mon esprit ». L’activation cognitive est évaluée par une sous-échelle de l’Échelle d’activation présommeil (« Pre-sleep Arousal Scale »; Nicassio et al., 1985) qui contient huit items tels que les suivants : « être mentalement alerte, actif » et « ne peut pas arrêter mes pensées ». Sans surprise, plusieurs études ont montré que l’hyperactivité mentale avant le sommeil est associée à l’insomnie (Ellis et al., 2002; Harvey, 2000; Harvey et al., 2002; Kohn et Espie, 2005). De même, un grand nombre d’étude ont montré que l’activation cognitive présommeil est associé à l’insomnie (cette preuve est examinée dans Lemyre et al., 2020).

Les inquiétudes liées à l'insomnie

Un seul questionnaire a été développé spécifiquement pour évaluer les inquiétudes liées à l’insomnie pendant la période précédant le sommeil. Il s’agit du Questionnaire sur les inquiétudes liées à l’insomnie (« Worry Insomnia Questionnaire »; Jansson et Linton, 2006), qui évalue les inquiétudes concernant l’insomnie (trois items) et les inquiétudes concernant la santé (trois items). Des exemples d’items sont « Je m’inquiète pour mon sommeil quand je vais au lit » et « Je crains des répercussions sur mon corps si je dors mal ». D’après cette seule étude, les deux types d’inquiétudes sont associés à une latence d’endormissement plus longue (c.-à-d., le temps requis pour s’endormir) chez les personnes souffrant d’insomnie depuis 7 à 12 mois, mais pas chez les personnes souffrant d’insomnie depuis 3 à 7 mois (Jansson et Linton, 2006). Ce résultat suggère que les inquiétudes liées à l’insomnie pourraient contribuer à maintenir le problème d’insomnie, mais seulement lorsque le problème d’insomnie est présent depuis plusieurs mois.

Les regrets ou la rumination

Les regrets ou la rumination au coucher ont été évalués par deux questionnaires. Le Questionnaire sur les pensées contre-factuelles au moment du coucher (« Bedtime Counterfactual Processing Questionnaire »; Schmidt et Van der Linden, 2009) contient des items tels que « Après vous être couché, à quelle fréquence vous sentez-vous coupable parce que vous avez l’impression d’avoir fait du tort aux autres ? », tandis que le Questionnaire sur les regrets nocturnes (« Nocturnal Regret Questionnaire »; Schmidt et al., 2011) contient des items tels que « Après m’être couché le soir, il m’arrive de regretter des choses que j’ai faites ». Dans des études menées auprès d’étudiants universitaires de premier cycle (Schmidt et al., 2018; Schmidt et Van der Linden, 2009, 2011, 2013) et de personnes âgées (Schmidt et al., 2011), les regrets/la rumination étaient associés à des symptômes d’insomnie plus sévères. Les symptômes d’insomnie ont été mesurés par l’Indice de sévérité de l’insomnie (« Insomnia Severity Index »; Bastien et al., 2001), qui évalue : (a) la sévérité du problème d’insomnie (difficulté à s’endormir, difficulté à rester endormi, et difficulté à se rendormir après des réveils trop tôt), ( b) le degré d’insatisfaction par rapport au sommeil, (c) le degré auquel le problème de sommeil interfère avec le fonctionnement quotidien, (d) le degré auquel les autres sont en mesure de s’apercevoir du problème de sommeil, et (e) le degré d’inquiétude/de détresse par rapport au problème de sommeil .

Les stratégies de contrôle des pensées

La version révisée du Questionnaire révisé de contrôle mental – Insomnie (« Thought-control Questionnaire Insomnia – revised version »; Ree et al., 2005; Schmidt et al. 2009) évalue l’utilisation de 35 stratégies pour contrôler ou gérer ses propres pensées au moment où nous tentons de nous endormir. Ces stratégies sont divisées en six catégories, dont quatre correspondent à des stratégies cognitives (mentales). Ces stratégies cognitives sont : (a) la suppression agressive (par exemple, « je me dis de ne pas être si stupide », « j’essaie de chasser les pensées de ma tête », « je me punis d’avoir cette pensée »), (b ) l’inquiétude (par exemple, « à la place, je me fais du souci pour des choses plus secondaires », « je ne peux m’empêcher de penser à d’autres soucis », « à la place, je pense à des soucis passés »), (c) réévaluation (par exemple, « j’analyse la pensée rationnellement », « j’essaie de réinterpréter la pensée », « je remets en question les raisons qui me font avoir cette pensée »), et (d) la distraction cognitive (par exemple, « à la place, j’évoque des pensées agréables », « j’évoque des images positives à la place », « je fais le vide dans mon esprit »). Des études menées auprès d’étudiants de premier cycle et de lycéens ont montré que les trois premières stratégies cognitives – suppression agressive, inquiétude et réévaluation – sont associées à une difficulté à s’endormir et à des symptômes d’insomnie (tels qu’évalués par l’Indice de sévérité de l’insomnie) (Gellis et Park, 2013; Kallestad et al., 2010; Schmidt et al., 2010; Schmidt et al., 2009). De même, les individus souffrant d’insomnie obtiennent des scores plus élevés sur les sous-échelles mesurant ces trois stratégies comparativement aux bons dormeurs (Ree et al., 2005). Par ailleurs, une étude menée auprès d’étudiants universitaires rapporte que la stratégie de distraction cognitive est négativement associée aux symptômes d’insomnie (Gellis et Park, 2013). Ces résultats suggèrent que le type de stratégies mentales utilisées en réaction à ses propres pensées pourrait influencer le temps nécessaire pour s’endormir.

Surveillance (focus de l'attention)

L’Index des comportements de surveillance en lien avec le sommeil (« Sleep Associated Monitoring Index »; Semler et Harvey, 2004) contient huit catégories, dont trois font référence à la surveillance (c.-à-d. le focus de l’attention) pendant la période précédant le sommeil : la surveillance des sensations corporelles compatibles avec l’endormissement (par exemple, « vos muscles s’affaiblissent ou se détendent » ), la surveillance des sensations corporelles incompatibles avec l’endormissement (par exemple, « sensations de tension ou d’inconfort dans votre corps ») et la surveillance de l’environnement (par exemple, « les bruits dans la maison »). Comparativement aux bons dormeurs, les mauvais dormeurs obtiennent des scores plus élevés sur chacune de ces trois sous-échelles (Semler et Harvey, 2004). Ce résultat suggère que la surveillance de ses propres sensations ou de l’environnement pourrait retarder l’endormissement.

Entrevues sur l’activité cognitive présommeil

Deux études ont utilisé des entrevues individuelles pour évaluer l’activité mentale avant le sommeil (Harvey, 2000; Nelson et Harvey, 2003). Harvey (2000) a interrogé des personnes souffrant d’insomnie et de bons dormeurs. Une section de l’entrevue portait sur l’expérience de pensées sous forme d’images durant la période pré-sommeil. Environ les deux tiers des participants de chaque groupe ont déclaré qu’ils expérimentaient généralement des pensées sous forme d’images avant le sommeil. Comparativement aux bons dormeurs, les participants souffrant d’insomnie percevaient ces images comme étaient plus angoissantes (Harvey, 2000). De plus, Nelson et Harvey (2003) ont interrogé des personnes souffrant d’insomnie et des bons dormeurs immédiatement après une sieste. Une partie de l’entrevue portait sur les pensées sous forme d’images et les pensées sous formes verbales qui avaient été vécues avant de s’endormir. Comparativement aux bons dormeurs, les personnes souffrant d’insomnie percevaient que ces deux types de pensées généraient plus de détresse (Nelson et Harvey, 2003).

Études expérimentales ayant testé la relation entre les inquiétudes et l'insomnie

Deux études (Gross et Borkovec, 1982; Tang et Harvey, 2004) ont évalué l’effet de l’induction inquiétudes sur la latence d’endormissement (c’est-à-dire le temps nécessaire pour s’endormir) chez des bons dormeurs. Spécifiquement, les participants du groupe expérimental ont été informés qu’ils auraient à faire une courte présentation orale après une sieste (le sujet de la présentation ne leur était pas dévoilé). Il était attendu que l’anticipation de devoir faire une présentation constituerait une source d’inquiétudes, ce qui devrait retarder l’endormissement. Les participants du groupe contrôle n’ont pas été informés qu’ils auraient à faire une présentation. Comme attendu, en moyenne, les participants du groupe expérimental (c.-à-d., qui qui croyaient devoir faire une présentation) ont mis plus de temps à s’endormir que les participants du groupe contrôle (Gross et Borkovec, 1982; Tang et Harvey, 2004).

Dans une troisième étude (Nelson et Harvey, 2002), des personnes souffrant d’insomnie ont reçu une enveloppe qu’elles devaient ouvrir juste avant le coucher (les participants dormaient à la maison). La lettre dans l’enveloppe informait les participants qu’ils devraient faire une présentation orale le lendemain (la lettre ne précisait pas le sujet de la présentation). Pour le premier groupe, la lettre demandait aux participants de penser à la présentation sous forme d’images (c.-à-d. sous forme visuelle) pendant six minutes. Pour le deuxième groupe, la lettre demandait aux participants de penser à la présentation sous forme verbale pendant six minutes. Les résultats ont montré que le fait de penser à la présentation sous forme d’images générait plus de détresse et d’activation dans l’immédiat, mais aussi une latence d’endormissement plus courte (c.-à-d., moins de temps nécessaire pour s’endormir) et moins d’anxiété au moment de penser à la présentation le lendemain matin. Les auteurs de l’étude ont suggéré que le fait de penser à une inquiétude (dans ce cas-ci, le la présentation orale) sous forme d’images pourrait faciliter l’intégration émotionnelle de l’inquiétude et, par conséquent, favoriser une transition plus rapide de l’éveil vers le sommeil (Nelson et Harvey, 2002).

Dans une quatrième étude (Carney et Waters, 2006), des personnes souffrant d’insomnie ont été divisées en deux groupes. Le premier groupe devait s’engager dans un processus « d’inquiétude constructive » pendant la soirée. Plus précisément, les participants devaient identifier au moins trois inquiétudes susceptibles de les tenir éveillés cette nuit-là, puis identifier la prochaine étape qui pourrait contribuer à la résolution de chaque inquiétude. Le deuxième groupe (qui servait de groupe contrôle) devait seulement énumérer trois inquiétudes ou plus qu’ils avaient vécues au cours de la journée. Les deux groupes ont mis un temps similaire à s’endormir cette nuit-là; cependant, les participants du groupe « d’inquiétude constructive » ont passé moins de temps éveillé durant la nuit et éprouvaient moins d’activation cognitive au lit (Carney et Waters, 2006). Dans l’ensemble, ces résultats ne confirment pas l’efficacité d’une procédure « d’inquiétude constructive » pour faciliter l’endormissement.

Sommaire et conclusion

L’endormissement est une transition progressive entre un état de relaxation et le sommeil léger ou le sommeil paradoxal. Elle implique souvent de l’imagerie visuelle, auditive ou corporelle (par exemple, tactiles), une perte de conscience de son environnement (c.-à-d., ne plus être conscient d’être dans un lit, dans une chambre) et des capacités cognitives diminuées. Lorsque les personnes souffrant d’insomnie ont de la difficulté à s’endormir, elles ont souvent tendance à se remémorer le passé, à planifier l’avenir ou à résoudre des problèmes. Il est également fréquent qu’elles pensent au sommeil ou aux conséquences d’un manque de sommeil. Dans le même ordre d’idées, des études utilisant des questionnaires ont montré que plusieurs processus mentaux sont liés à l’insomnie, y compris l’activation cognitive (ou l’hyperactivité mentale), les inquiétudes, les regrets et la rumination, certaines stratégies de contrôle des pensées (suppression agressive, inquiétude et réévaluation) et le fait de focaliser son attention sur des sensations corporelles ou des stimuli environnementaux (p.ex., les bruits ambiants). De plus, des études utilisant des entrevues individuelles ont révélé que les personnes souffrant d’insomnie tendent à avoir des pensées plus négatives durant la période précédant le sommeil. Enfin, des études expérimentales ont confirmé que les inquiétudes peuvent retarder l’endormissement. De manière intéressante, le mode de réflexion sur ses propres inquiétudes (sous forme d’images ou sous forme verbale) pourrait influencer la mesure dans laquelle ces inquiétudes interfèrent avec le sommeil. Toutefois, davantage d’études sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse.

La conclusion la plus intéressante de nos travaux (Lemyre et al., 2020) est que la transition normale vers le sommeil et les épisodes d’insomnie impliquent tous deux une certaine activité cognitive (ou activité mentale), c’est-à-dire des pensées et de l’imagerie. Ainsi, ce n’est pas l’activité cognitive en soi qui retarde l’endormissement (qui cause l’insomnie), mais bien le type d’activité cognitive. Mon hypothèse est que l’activité cognivie chargée émotionnellement retarde l’endormissement, car elle signale la présence de menaces ou de récompenses. Dans une perspective évolutive, s’endormir en présence de menaces ou de récompenses aurait été délétère pour la survie de nos ancêtres et leur aptitude à se reproduire (appelé « valeur sélective », ou « fitness » en anglais). Ainsi, il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que les mécanismes cérébraux contrôlant le sommeil et l’éveil (Brown et al., 2012) ont évolué pour assurer un équilibre adaptatif entre : (a) les bénéfices du sommeil, et (b) le besoin d’être éveillé pour éviter les menaces et accéder aux récompenses. Je crois qu’une meilleure compréhension du système de contrôle de l’endormissement (d’un point de vue cognitif et neurologique) sera nécessaire pour déterminer comment certaines pensées retardent l’endormissement, de même que pour développer de meilleures interventions psychologiques permettant de composer avec ces pensées indésirables.

Références

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