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Contrôle des rêves lucides et thérapie par les rêves lucides pour traiter les cauchemars

Alexandre Lemyre, M.A., Ph.D.

J'ai étudié la psychologie à l'Université Laval, Canada, où j'ai obtenu un baccalauréat, une maîtrise et un doctorat. Je suis un chercheur en psychologie, pas un psychologue (je ne suis pas accrédité pour faire de la psychothérapie). Ma thèse doctorale consistait à développer et tester une nouvelle théorie de la fonction des rêves. Au cours de mes études, j'ai également travaillé sur plusieurs projets de recherche en lien avec les rêves, les cauchemars, l'insomnie, l'anxiété et la consommation de substances. Depuis août 2021, je suis stagiaire postdoctorale au Centre d'Études sur le Trauma (CÉT), qui fait partie du Centre de recherche de l'Institut Universitaire de Santé Mentale de Montréal (IUSMM). J'y étudie les conséquences de l’exposition à la violence chez les travailleurs sociaux, les déterminants des troubles du sommeil (cauchemars et insomnie) à la suite d’un traumatisme, ainsi que le traitement des cauchemars chroniques. J'ai un intérêt particulier pour l'utilisation des technologies (p.ex., applications mobiles) pour le traitement des difficultés psychologiques.

Le contenu de cet article a été mis à jour le 1er février 2022.

Introduction

Au cours des dernières années, il semble y avoir eu un regain d’enthousiasme pour l’étude des rêve lucides parmi les chercheurs spécialisés dans le sommeil et les rêves. Néanmoins, de nombreux aspects de ce phénomène ont reçu peu d’attention, le contrôle du rêve lucide étant l’un d’entre eux. Dans le présent article, je vais passer en revue ce que l’on sait du contrôle des rêves lucides dans la documentation scientifique. Je discuterai également de l’efficacité de la thérapie par les rêves lucides pour les cauchemars, et du rôle que le contrôle des rêves lucides peut jouer dans cette thérapie. Pour ceux qui sont intéressés, un article sur les stratégies de contrôle des rêves lucides est déjà publié sur psycholo-g.com, et un article sur les stratégies d’induction de la lucidité sera publié dans l’avenir. Les stratégies de contrôle des rêves lucides et les stratégies d’induction de la lucidité ne seront pas abordées en détail dans le présent article.

Que signifie "contrôler" un rêve lucide ?

Dans notre étude sur le rêve lucide, nous avons distingué deux formes de contrôle du rêve (Lemyre et al., 2020). La première, appelée « contrôle normal du rêve », a été définie comme « le fait de contrôler délibérément ses actions mentales ou ses comportements physiques dans un rêve ». Le contrôle des actions mentales peut inclure ce qui suit : visualiser une personne ou une situation spécifique, se remémorer des souvenirs d’événements passés, réfléchir sur un problème que vous voulez résoudre à l’éveil, etc. Les comportements physiques peuvent consister à marcher dans une direction donnée avec vos jambes oniriques (c.-à-d. les jambes que vous avez dans votre rêve), déplacer des objets avec vos mains oniriques ou parler avec votre bouche onirique. Pour résumer, le contrôle normal du rêve n’a rien d’exceptionnel : il consiste simplement choisir ce à quoi vous pensez et comment vous bougez dans le rêve (lucide).

La deuxième forme de contrôle a été appelée « contrôle du rêve de haut niveau ». Elle a été définie comme « la production d’un résultat qu’il serait impossible ou presque impossible de produire à l’état d’éveil, sauf dans sa propre imagination » (Lemyre et al., 2020). Ces résultats se répartissent en cinq catégories : 1) accomplir des actions surnaturelles; 2) changer ou bouger des objets d’une manière qui serait impossible à l’éveil; 3) manipuler ou contrôler d’autres personnages du rêve d’une manière qui serait impossible à l’éveil; 4) contrôler ou changer l’environnement du rêve d’une manière qui serait impossible à l’éveil; 5) influencer le scénario du rêve à volonté; 6) produire tout autre résultat qu’il ne serait pas possible de produire à l’éveil. (Voss et al., 2013). Ce qui suit est une liste de tels résultats que des rêveurs lucides ont tenté de produire : s’envoler, traverser les murs, respirer sous l’eau, se métamorphoser, voyager dans le temps (c.-à-d., changer l’environnement du rêve), avoir une force surnaturelle et être invisible (Stumbrys et al., 2014).

La lucidité confère-t-elle un contrôle sur les rêves et les cauchemars ?

Il existe une croyance commune selon laquelle la lucidité dans un rêve confère un contrôle sur le déroulement du rêve. Cette idée est au moins à moitié fausse. Dans une étude (Schredl et al., 2018), on a posé la question suivante à 675 rêveurs lucides (dont environ 40% expérimentaient au moins un rêve lucide par mois) : « Dans combien de rêves lucides avez-vous été capable d’influencer délibérément votre environnement (par exemple, changer le paysage ou ce qui vous entoure, faire apparaître ou disparaître des personnages) ? » Seuls 11% des participants ont déclaré pouvoir produire de tels changements dans les trois quarts ou plus de leurs rêves lucides, tandis que la moitié des participants ont déclaré ne jamais pouvoir le faire (Schredl et al., 2018). Une autre étude (Stumbrys et al., 2014) a montré que même les rêveurs lucides fréquents (c.-à-d., les personnes qui expérimentent au moins un rêve lucide par mois) ont tendance à avoir de la difficulté à contrôler leurs rêves. Plus précisément, environ la moitié de leurs tentatives pour produire un résultat dans un rêve lucide se soldent par un échec. Les raisons rapportées pour expliquer ces échecs ont été classées en quatre catégories : (a) le fait de se réveiller, (b) une difficulté d’exécution (p.ex., les personnages du rêve interfèrent avec le rêveur, le rêveur est distrait par les événements du rêve, les actions du rêveur conduisent à des résultats différents), (c) une clarté insuffisante (p.ex., le manque de concentration), et le doute de soi (p.ex., l’expérience d’anxiété, de stress ou d’excitation) (Stumbrys et al., 2014). Dans une vaste étude menée auprès d’enfants et d’adolescents, 52% des participants ont rapporté avoir fait au moins un rêve lucide au cours de leur vie, et parmi eux, seuls 37% ont déclaré pouvoir habituellement changer ou contrôler le contenu de leurs rêves lucides (Voss et al., 2012). Finalement, il importe de noter que Voss et al. (2013) ont différencié le construit de « lucid insight » (c’est-à-dire la conscience d’être dans un rêve) et le construit de « contrôle supranaturel » (que nous avons renommé « contrôle de haut niveau » dans notre étude) lors de l’élaboration de leur questionnaire évaluant la lucidité en rêve. Leurs analyses statistiques ont confirmé que ces deux construits sont différents, bien qu’ils soient positivement corrélés (Voss et al., 2013). En conclusion, la lucidité dans un rêve ne s’accompagne pas toujours de la capacité d’exercer un contrôle de haut niveau sur le rêve.

Les cauchemars lucides, qui sont définis comme des cauchemars dans lesquels le rêveur est conscient de rêver, pourraient être encore plus difficiles à influencer que les rêves lucides ordinaires. Cela serait attendu puisque les cauchemars s’accompagnent généralement d’un sentiment d’impuissance (McNamara et al., 2015). Dans une étude (Schredl et Goritz, 2018), 39 cauchemars lucides ont été analysés. Dans 20 de ces cauchemars lucides (51% de tous les cauchemars lucides), le rêveur ressentait encore de la peur ou une autre émotion négative après avoir atteint la lucidité, et il ne pouvait pas changer le rêve. Dans neuf cauchemars lucides (23%), le rêveur a pu se réveiller délibérément, et dans les 10 cauchemars lucides restants (26%), la lucidité a réduit l’anxiété ou a entraîné un changement dans le déroulement du rêve (Schredl et Goritz, 2018 ). Dans une autre étude (Schredl et Bulkeley, 2020), 160 cauchemars lucides ont été analysés. Dans 88 cauchemars lucides (55% de tous les cauchemars lucides), le rêveur souhaitait se réveiller, ce qui n’a fonctionné que dans la moitié des cas (c.-à-d., dans 44 cauchemars lucides). Dans les cauchemars lucides où le désir de se réveiller était absent (72 cauchemars lucides; soit 45% de tous les cauchemars lucides), deux fois sur trois (n = 49 cauchemars lucides; soit 31% de tous les cauchemars), le rêveur était capable de changer le rêve ou était soulagé de réaliser qu’il rêvait (Schredl et Bulkeley, 2020). Enfin, Harb et al. (2016) ont évalué 33 anciens combattants ayant reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. En moyenne, ces participants expérimentaient cinq cauchemars par semaine. Parmi eux, 40% ont rapporté qu’ils étaient fréquemment lucides dans leurs rêves, mais seulement 9% ont rapporté être fréquemment en mesure de contrôler leurs rêves (Harb et al., 2016). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent qu’exercer un contrôle de haut niveau sur les cauchemars lucides peut être difficile, et que de nombreux rêveurs tentent de se réveiller de leurs cauchemars lucides plutôt que d’influencer le cours du rêve (se réveiller délibérément d’un cauchemar lucide ne répond pas à la définition du « contrôle de haut niveau » offerte plus tôt).

Il est à noter que certains auteurs ont donné une définition plus précise aux cauchemars lucides. Par exemple, dans une étude sur ce phénomène, la définition suivante a été offerte aux participants : « Un cauchemar lucide est un rêve avec de fortes émotions négatives dans lequel le rêveur est conscient qu’il rêve, mais est incapable de changer le scénario terrifiant du rêve ou de se réveiller délibérément » (Stumbrys, 2018, p.175). Malheureusement, incorporer la notion d’un manque de contrôle dans la définition des cauchemars lucides empêche de collecter des données utiles sur la contrôlabilité des cauchemars dans lesquels la lucidité est atteinte.

Quelles sont les applications du contrôle des rêves lucides ?

Schädlich et Erlacher (2012) ont présenté cinq objectifs possibles du rêve lucide à 301 rêveurs lucides (tous avaient fait au moins un rêve lucide au cours des derniers mois) : 1) s’amuser, 2) modifier les cauchemars, 3) résoudre des problèmes, 4) faire preuve de créativité , et 5) la pratique d’habiletés ou d’aptitudes. Les deux premiers objectifs ont été endossés par 81% et 64% des participants, respectivement, alors que les trois autres objectifs ont chacune été endossés par moins d’un tiers des participants (Schädlich et Erlacher, 2012). Dans une autre étude auprès de 357 personnes ayant vécu au moins un rêve lucide (Stumbrys et Erlacher, 2016), sept objectifs possibles des rêves lucides ont été présentés. Les participants devaient indiquer (en pourcentages, totalisant 100%) les objectifs pour lesquels ils avaient utilisé leurs rêves lucides récemment. Les résultats étaient les suivants : 1) réaliser un souhait (cet objectif était visé dans 42% des rêves lucides, en moyenne), 2) résoudre des problèmes de la vie réelle (dans 14,8% des rêves lucides), 3) surmonter des peurs ou composer avec un cauchemar (dans 10,8% des rêves lucides), 4) vivre une expérience spirituelle (dans 8,1% des rêves lucides), 5) faciliter une guérison physique ou mentale (dans 6,5% des rêves lucides), 6) entraîner des habiletés motrices (dans 4,2% des rêves lucides), 7) méditer (dans 1,3% de rêves lucides) et 8) tout autre objectif (dans 12% des rêves lucides) (Stumbrys et Erlacher, 2016). Dans une troisième étude menée auprès de 140 personnes souffrant de cauchemars, 11% ont rapporté que le « rêve lucide » était une stratégie pour faire face à leurs cauchemars (Thünker et al., 2014). Ces résultats indiquent que le contrôle des rêves lucides peut être utilisé pour plusieurs objectifs, l’un des plus communs étant l’atteindre de plaisir ou la diminution de l’inconfort dans les rêves/cauchemars lucides.

La mesure dans laquelle le contrôle lucide des rêves peut être utilisé pour produire des résultats à l’état d’éveil reste largement non étudiée. Interroger des rêveurs lucides sur leurs expériences personnelles serait insuffisant pour tirer des conclusions scientifiquement solides sur cette question. Pour ce faire, des études expérimentales seraient nécessaires. Une étude expérimentale consiste à manipuler une variable indépendante (cela impliquerait de demander à un groupe de participants d’effectuer des actions spécifiques dans un rêve lucide ou un cauchemar lucide) et d’observer l’effet de cette manipulation sur une variable dépendante (cela impliquerait d’évaluer le résultat attendu/ciblé après le réveil). Mener de telles études expérimentales poserait au moins quatre défis, qui sont décrits ci-dessous. Surmonter les deux premiers défis serait nécessaire pour former une hypothèse testable/réfutable, tandis que surmonter les troisième et quatrième défis serait nécessaire pour obtenir des données valides qui peuvent soutenir ou réfuter l’hypothèse en question.

Défi #1. Le premier défi serait de déterminer les actions spécifiques qui devraient être effectuées dans le rêve/cauchemar lucide pour produire le résultat visé au réveil.

Défi #2. Le deuxième défi serait de définir (c.-à-d., opérationnaliser) le résultat visé d’une manière qui puisse être évaluée. Par exemple, une « guérison psychologique » pourrait être définie en termes de réduction des symptômes dépressifs (cela pourrait être évalué au moyen de questionnaires validés). Le fait de « surmonter une peur » pourrait être évalué par la réponse autonomique de l’individu (p.ex., sa fréquence cardiaque) lorsqu’il est exposé à l’objet de sa peur à l’éveil. Idéalement, la durée du résultat attendu devrait également être définie (p.ex., est-il attendu que l’effet dure une journée, plusieurs jours, ou encore qu’il persiste indéfiniment ?)

Défi #3. Le troisième défi serait de considérer des variables potentiellement confondantes. Par exemple, si nous testons l’effet du contrôle des rêves lucides sur la « guérison psychologique » ou le fait de « surmonter une peur » à l’éveil, des variables confondantes pourraient être l’excitation/la fierté d’avoir exercé du contrôle sur un rêve/cauchemar lucide, l’effet des émotions vécues dans le rêve sur l’humeur à l’éveil (p.ex., Schredl, 2009; Schredl et Reinhard, 2009), ou encore le simple fait de dormir (nous savons que le sommeil est impliqué dans la régulation des émotions; Deliens et al., 2014). L’effet des variables confondantes peut généralement être neutralisé en utilisant un ou plusieurs groupes de comparaison, également appelés « groupes de contrôle ».

Défi #4. Le quatrième défi serait de contrôler le biais des attentes. En effet, si un individu s’attend/espère que ses actions dans le rêve/cauchemar lucide produiront le résultat visé au réveil, un « effet placebo » pourrait survenir.

Deux études expérimentales sur l’effet de la pratique des habiletés motrices dans les rêves lucides (Erlacher et Schredl, 2010; Stumbrys et al., 2016) ont relevé les quatre défis mentionnés ci-haut : 1) des actions spécifiques à effectuer dans les rêves lucides ont été déterminées (c.-à-d. lancer une pièce de monnaie dans un verre ou tapotter avec ses doigts), 2) le résultat attendu au réveil a été défini d’une manière qui peut être évaluée (c.-à-d., le nombre d’essais réussis sur la tâche motrice qui a été pratiquée dans le rêve), 3) des groupes de comparaison (c.-à-d., des groupes composés de participants qui n’ont pas effectué la tâche motrice dans leurs rêves lucides) ont été utilisés pour contrôler les variables confondantes, et 4) le risque d’un biais d’attente était minimal puisque l’apprentissage d’habiletés motrices est dépendante de la mémoire implicite (Reber, 2013), laquelle peut seulement être influencée par la pratique. Les résultats de ces études soutiennent l’hypothèse selon laquelle la pratique d’une habileté motrice dans un rêve lucide peut améliorer cette habileté au réveil (Erlacher et Schredl, 2010; Stumbrys et al., 2016). Au meilleur de ma connaissance, aucune autre étude expérimentale n’a été menée pour tester l’effet d’actions spécifiques dans les rêves lucides sur d’autres résultats à l’éveil, tels que la « guérison psychologique », le fait de « surmonter une peur », « l’obtention d’insights créatifs » ou la «résolution de problèmes » à l’éveil.

Certains chercheurs ont émis l’hypothèse que les rêves – pas les rêves lucides spécifiquement – favorisent le développement d’insights créatifs et la résolution de problèmes (Barrett, 2007, 2015), mais les données qui appuient cette hypothèse ont été critiquées. Plus précisément, il a été suggéré que les insights et les solutions ne sont pas produits dans les rêves eux-mêmes; elles seraient plutôt obtenues au réveil au moment de penser (de réfléchir) à l’expérience du rêve (Domhoff, 2018, pp. 256-257). Si le rêve favorise la créativité et la résolution de problèmes – du moins dans certaines circonstances – il serait d’autant plus plausible que le contrôle des rêves lucides puisse être utilisé pour obtenir des insights ou des solutions. Des études rigoureuses seront nécessaires pour tester cette hypothèse.

La thérapie par les rêves lucides pour les cauchemars

La thérapie par le rêve lucide a été utilisée pour tenter de traiter les cauchemars. Cette thérapie consiste à enseigner des techniques d’induction de la lucidité conçues pour augmenter la fréquence des rêves lucides. Un exemple d’une telle technique est l’induction mnémonique du rêve lucide (acronyme en anglais : MILD), qui consiste à se souvenir d’un rêve tout en imaginant devenir lucide dans ce rêve (Stumbrys et Erlacher, 2014; Stumbrys et al., 2012). L’hypothèse originale de la thérapie par le rêve lucide est que l’utilisation de ces techniques devrait augmenter la probabilité de devenir lucide dans les cauchemars, ce qui permettrait au rêveur de modifier le déroulement du cauchemar pour en faire un rêve neutre ou plaisant.

À ce jour, seul un petit nombre de recherches ont été menées pour évaluer l’efficacité de la thérapie par le rêve lucide. Quatre études de cas (Abramovitch, 1995; Been et Garg, 2010; Brylowski, 1990; Tanner, 2004) et deux séries de cas (Spoormaker et al., 2003; Zadra et Pihl, 1997) ont trouvé un effet positif de la thérapie par le rêve lucide sur les cauchemars. Une étude de cas est un rapport sur l’efficacité d’un traitement pour un seul patient, alors qu’une série de cas teste l’efficacité d’un traitement chez un petit nombre de patients (dans les études ci-dessus, il y avait moins de 10 patients). Les études de cas et les séries de cas représentent la qualité méthodologique la plus faible lorsqu’il est question de tester l’efficacité d’un traitement. Par ailleurs, dans une étude pilote, Spoormaker et van den Bout (2006) ont comparé trois groupes d’individus expérimentant des cauchemars fréquents : un groupe recevant une thérapie par le rêve lucide dans un format individuel, un groupe recevant une thérapie par le rêve lucide dans un format de groupe, et un groupe contrôle non traité. Les individus des deux groupes de traitement ont rapporté une diminution de la fréquence de leurs cauchemars, tandis que le groupe contrôle ne s’est pas significativement amélioré (Spoormaker et van den Bout, 2006). Après avoir examiné l’ensemble des études ayant évalué l’efficacité de stratégies d’induction de la lucidité, Macedo et al. (2019) ont conclu que ces stratégies pourraient aider à diminuer la fréquence des cauchemars, leur intensité et la détresse diurne qu’ils produisent; toutefois, ces auteurs soulignent que la documentation scientifique est encore insuffisante. Ainsi, bien que les données disponibles soient encourageantes, des études de traitement plus rigoureuses seront nécessaires pour tirer des conclusions concernant l’efficacité de la thérapie par le rêve lucide pour le traitement des cauchemars chroniques.

Il est important de noter que certaines personnes bénéficient de la thérapie par le rêve lucide sans jamais devenir lucides dans leurs rêves ou cauchemars (Spoormaker et van den Bout, 2006; Spoormaker et al., 2003; Zadra et Pihl, 1997). Par conséquent, atteindre la lucidité dans les cauchemars n’est pas le seul mécanisme – et peut-être même pas le mécanisme principal – par lequel la thérapie par le rêve lucide exerce ses effets bénéfiques. Selon une revue de la documentation scientifique par Rousseau et Belleville (2018), les mécanismes qui ont été suggérés pour expliquer l’efficacité de la thérapie par le rêve lucide sont : 1) un sentiment de contrôle par rapport aux cauchemars, 2) la modification de croyances inadaptées au sujet des cauchemars, et 3) la prévention de l’évitement (p.ex., l’évitement des pensées liées au sommeil et aux cauchemars) (Rousseau et Belleville, 2018). À mon avis, ceci est hautement spéculatif car il existe très peu de résultats scientifiques soutenant l’effet de la thérapie par le rêve lucide sur ces trois mécanismes, ou encore l’effet de ces mécanismes sur le maintien des cauchemars chroniques. Une augmentation du degré de contrôle perçu sur les cauchemars pourrait être le mécanisme d’action le plus crédible pour expliquer l’efficacité apparente de la thérapie par le rêve lucide. C’est d’ailleurs ce que suggère Soffer-Dudek (2020) dans son analyse critique des études de traitement ayant testé la thérapie par le rêve lucide. Si cela est correct, le principal mécanisme d’action de la thérapie par le rêve lucide pourrait s’apparenter à un effet placebo.

Une troisième limite de la thérapie par le rêve lucide est le manque de connaissances sur les stratégies efficaces qui pourraient être utilisées pour modifier un cauchemar une fois la lucidité atteinte. Comme indiqué précédemment, atteindre la lucidité ne confère pas nécessairement un contrôle sur le cauchemar, ni ne réduit toujours la détresse émotionnelle. Les principales stratégies de contrôle du rêve lucide qui sont enseignées dans le cadre de la thérapie du rêve lucide sont basées sur les travaux de Tholey (1983, 1988). Ces stratégies impliquent de communiquer ou de confronter les personnages menaçants dans le cauchemar plutôt que de les fuir (Spoormaker et van den Bout, 2006; Spoormaker et al., 2003; Zadra et Pihl, 1997). Bien que ces stratégies puissent être efficaces, on ne sait pas ce que le rêveur devrait faire dans les cauchemars qui ne présentent pas un personnage menaçant (p.ex., des cauchemars impliquant des catastrophes naturelles ou la mort d’un être cher). Hormis les travaux de Paul Tholey, la seule autre étude portant sur les stratégies de contrôle des rêves lucides a été menée par notre équipe de recherche (Lemyre et al., 2020). Nous avons identifié plusieurs stratégies, dont certaines pourraient être enseignées dans le cadre de la thérapie par le rêve lucide. Ce sujet est traité dans un autre article sur les stratégies de contrôle des rêves lucides.  

Sommaire et conclusion

Le « contrôle normal des rêves » (c.-à-d., le contrôle délibéré de ses propres pensées et de son corps onirique dans le rêve) a été différencié du « contrôle de haut niveau » dans les rêves, qui consiste à produire des résultats dans un rêve lucide qui seraient impossibles à produire à l’état d’éveil. Atteindre la lucidité dans un rêve ne confère pas automatiquement la capacité d’exercer un contrôle de haut niveau sur ce rêve. En effet, exercer un contrôle de haut niveau dans les rêves lucides peut s’avérer difficile, et cela pourrait être encore plus difficile dans les cauchemars lucides. Les rêveurs lucides exercent un contrôle sur leurs rêves pour diverses raisons, telles que s’amuser (réalisation de souhaits), résoudre des problèmes de la vie éveillée ou encore faire face à un cauchemar. Malheureusement, en raison d’un manque d’études, la mesure dans laquelle le contrôle des rêves lucides peut être utilisé pour produire des résultats dans la vie éveillée est encore largement inconnue. D’un point de vue clinique, la thérapie par le rêve lucide implique l’utilisation de stratégies d’induction de la lucidité en rêve, de même que des stratégies de contrôle du rêve lucide (en particulier, communiquer avec des personnages menaçants dans le rêve) pour composer avec les cauchemars. L’efficacité de la thérapie par le rêve lucide a reçu un soutien préliminaire, mais des études de traitement plus rigoureuses sont nécessaires. De plus, considérant que plusieurs personnes ont bénéficié de la thérapie par le rêve lucide sans pour autant atteindre la lucidité dans leurs cauchemars, les mécanismes d’action de cette thérapie demeurent largement spéculatifs.

À ma connaissance, l’étude du contrôle des rêves lucides en est encore à ses balbutiements. Les questions abondent et les réponses se font rares. Par exemple, l’éventail des effets possibles qui peuvent être produits dans les rêves lucides reste à documenter. Il se peut que certains effets soient impossibles à produire (comme effectuer des actions que le rêveur lui-même perçoit comme étant immorales), mais cette question reste inexplorée. En outre, une question qui m’intrigue particulièrement est de savoir si l’exposition à des stimuli anxiogènes dans les rêves peut réduire la réaction de peur à ces stimuli à l’état d’éveil. Par exemple, l’exposition à des situations sociales dans des rêves lucides – initier des conversations avec des étrangers, parler en public, etc. – pourrait réduire l’anxiété sociale (c.-à-d., la timidité) au réveil. Cela semble plausible considérant que l’exposition à des situations sociales en réalité virtuelle (c.-à-d., l’immersion dans des contextes sociaux générés par ordinateur) peut être utilisée pour traiter l’anxiété sociale (Chesham et al., 2018). La réalité virtuelle a bien sûr plusieurs points communs avec les rêves. Avec l’aide de communautés de rêveurs lucides, je m’attends à ce que nous puissions progresser vers une science plus mature du contrôle des rêves lucides au cours des prochaines années.

Références

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